Archives Mensuelles: février 2015
« APPRENTI GIGOLO » (2013)
John Turturro est un bon acteur de composition, particulièrement à l’aise dans l’univers des frères Coen. « APPRENTI GIGOLO » est son 5ème long-métrage en tant que réalisateur. Si le premier, « MAC » était autobiographique et assez touchant, les suivants se sont révélés expérimentaux, narcissiques et excessivement stylisés.
C’est le cas du présent film qui maintient un semblant d’intérêt pendant son premier quart, le temps d’assimiler son « pitch » improbable et qui s’embourbe ensuite dans un non-rythme terrassant et un égocentrisme invraisemblable. L’acteur se met lui-même en scène en étalon quinquagénaire, un plombier/fleuriste (sic !) coaché par un vieux libraire (Woody Allen !) pour satisfaire des femmes de tous âges, sexuellement frustrées. Précisons tout de suite que ces pauvres laissées-pour-compte prêtes à payer pour être honorées par le taciturne « sex toy » sur pattes, ont généralement le physique de Sharon Stone ! Ça aide…
Absolument pas construit, accumulant les ruptures de ton d’une séquence à l’autre, se vautrant dans des longueurs d’une complaisance inouïe, « APPRENTI GIGOLO » est un film impossible à appréhender : Allen semble échappé d’une de ses propres comédies dans un personnage périphérique trop ou pas assez développé, Vanessa Paradis est bizarrement castée en veuve hassidique perruquée au teint cireux et Turturro lui-même est complètement à côté de la plaque en séducteur mystérieux et sensible culpabilisé de jouer les « putes ». Seul s’en sort à peu près Liev Schreiber en policier du quartier juif, amoureux de la veuve.
Ni drôle, ni sexy, ni émouvant, « APPRENTI GIGOLO » gaspille un postulat de départ potentiellement intrigant. On préfèrera se souvenir de Turturro en Barton Fink ou en Jesus Quintana…
« AN ISLAND LIKE A PEACOCK » : Leonard Nimoy dans « Dr. Kildare »
Réalisé par l’intéressant Elliot Silverstein, « AN ISLAND LIKE A PEACOK » est un épisode de la 2ème saison de la série « DR. KILDARE ».
Forrest Tucker – vieilli par un maquillage un peu excessif – est un baroudeur cardiaque qui revient au pays, sentant sa mort prochaine, pour revoir sa fille aveugle (Kathryn Hays) qu’il avait abandonnée enfant. Celle-ci le rejette, mais notre bon Richard Chamberlain, à force de persuasion, va la convaincre de parler au mourant et d’accepter son ultime cadeau : la cornée qu’il va lui léguer pour qu’elle puisse voir à nouveau.
On nage en plein mélo et l’agonie de Tucker dure vraiment très longtemps, donnant lieu à des débordements lacrymaux. Mais tous les acteurs se donnent à fond et l’amoureux de ‘Mr Spock’ qui vient de nous quitter, sera heureux de le revoir dans un second rôle sympathique de gentil voisin à lunettes, amoureux fou de la jolie aveugle, mais se contentant de lui donner le bras et de lui faire la lecture, sans avouer ses sentiments. Étonnant de revoir Leonard Nimoy, plutôt cantonné alors aux rôles de méchants, dans un emploi aussi éloigné de tout ce qu’on connaît de lui.
À noter les changements de mentalité en un demi-siècle : Tucker est censé être un aventurier romantique en racontant comment il a massacré des dizaines d’éléphants. Aujourd’hui, on aurait juste envie de lui faire bouffer les défenses…
QUAND ERNIE RENCONTRE BILL…
Il n’y a pas de tandem plus disparate que William ‘Bill’ Holden, ex-jeune premier lisse et discret et Ernest ‘Ernie’ Borgnine, second rôle au physique de brute épaisse.
Pourtant, les deux hommes avaient à peu près le même âge, ils étaient tous deux oscarisés : Holden pour « STALAG 17 », Borgnine pour « MARTY ». Avec le temps, le visage du premier s’était crevassé, buriné et le bellâtre de jadis s’était transformé en ‘tough guy’ doué d’une bonne descente et le second, la brute de jadis s’était adoucie et humanisée, manifestant même une préférence pour la comédie.
Ils se rencontrent professionnellement en 1969 pour « LA HORDE SAUVAGE », le chef-d’œuvre de Sam Peckinpah, où ils jouent des mercenaires au bout du rouleau, amis à la vie à la mort. Une indéniable complicité à l’écran et une fin ultra-violente et sanglante, mais côte à côte. À noter qu’ils remplaçaient respectivement Lee Marvin et Charles Bronson initialement prévus par le producteur qui venait de les avoir dans « 12 SALOPARDS ». Le refus du premier redistribua les cartes et permit la rencontre de Bill et Ernie.
Des producteurs opportunistes ont cru bon de réunir les deux gaillards trois ans plus tard pour « LA POURSUITE SAUVAGE » (l’utilisation du mot ‘sauvage’ est une initiative du distributeur français !). Holden est cette fois un rancher vengeur et Borgnine une fripouille qu’il enrôle avec quelques autres taulards pour une mission-suicide plagiée sur « 12 SALOPARDS » (tout se recoupe !). Cette fois la magie ne prend pas. Holden paraît fatigué, à côté de la plaque et Borgnine pas dirigé en fait des tonnes, en vieux cabot qu’il pouvait être parfois.
C’est huit ans plus tard que les deux acteurs se retrouvent pour la dernière fois dans « LE JOUR DE LA FIN DU MONDE », film-catastrophe grabataire où ils ne font que se croiser pratiquement sans interaction. Perdus dans les fumigènes et dans une foule de has-beens venus cachetonner, les deux héros magnifiques de « LA HORDE SAUVAGE » achevèrent là leur triptyque en pente descendante. Heureusement ! On se souviendra avec émotion de ‘Pike’ et ‘Dutch’ et on oubliera pudiquement la suite…
« LA TRAVERSÉE DE PARIS » (1956)
Avec « LA TRAVERSÉE DE PARIS » on est dans le peloton de tête des meilleurs films et aussi des meilleurs rôles de la carrière de Jean Gabin.
Cette fable cruelle d’une terrifiante misanthropie, en forme de ‘road movie’ nocturne, suit deux individus qui n’auraient jamais dû se croiser : Bourvil, un brave type médiocre et fanfaron vivotant du marché noir et Gabin, un artiste embourgeoisé qui décide de s’encanailler en l’aidant à transporter des valises remplies de cochonnaille, lors d’une nuit de couvre-feu, en pleine occupation.
Ramassé sur 80 petites minutes, le scénario est une enfilade ininterrompue de morceaux de bravoure, porté par un dialogue étincelant de Jean Aurenche (« Non mais regarde-moi le mignon avec sa face d’alcoolique et sa viande grise… Avec du mou partout… Du mou, du mou, rien que du mou ! »), dont la franche méchanceté sidère encore aujourd’hui (« Salauds de pauvres »). Le Français occupé est ignoble : collabo, profiteur, délateur, il est décrit sans aucune compassion ou empathie. Même Gabin, qui se pose en juge de ses contemporains n’est pas exempt de défauts. C’est en dilettante qu’il se mêle aux « gens de peu », en touriste qu’il prend des risques, pour connaître le grand frisson de l’aventure, avant de regagner ses confortables appartements. Curieusement – et c’est même assez dérangeant après mûre réflexion – le seul personnage à peu près décent est… l’officier S.S. affable et cultivé qui ira jusqu’à sauver la vie de Gabin, par amour de l’art !
C’est dire l’ambiguïté qui baigne ce film formellement impeccable, qui n’a pas pris la moindre ride. Si Gabin, extraordinaire de truculence et de charisme, et Bourvil touchant à force d’être minable, forment un tandem fabuleusement complémentaire, on ne peut que remarquer Louis De Funès qui apparaît peu mais de façon marquante en épicier avaricieux et atrabilaire. Leur scène à trois dans la cave est un plaisir éternellement renouvelé.
« LA TRAVERSÉE DE PARIS » est un chef-d’œuvre du cinéma français, un film âpre et complexe sur la nature humaine, qui laisse après les éclats de rire, un drôle d’arrière-goût amer. À l’image de l’épilogue situé après la guerre, d’une infinie tristesse.