Combien de films peuvent se targuer de n’avoir pas perdu une once de leur impact plus de 40 ans après leur sortie ? Devenu un classique du cinéma U.S., « DÉLIVRANCE » est encore aujourd’hui stupéfiant de vitalité, de richesse thématique, tout empreint d’une violence primitive qui le rapprocherait presque du cinéma d’horreur.
Il y a tant de façons de recevoir et d’analyser ce film. Ancré dans une Amérique archaïque peuplée de ploucs à moitié débiles, il montre quatre « bobos » (même si cela ne s’appelait pas ainsi à l’époque !) d’Atlanta décidant de descendre une rivière en canoë, avant qu’elle ne soit transformée en lac inerte par un barrage.
John Boorman met 40 minutes à installer ses personnages, à faire jouer l’extraordinaire alchimie immédiatement présente entre Jon Voight, Burt Reynolds, Ned Beatty et Ronny Cox. Il distille des indices subtils laissant subodorer que quelque chose de terrible couve derrière les fanfaronnades des uns, les chamailleries, les mesquineries. Et brusquement, avec une scène de viol qui a traumatisé des générations de cinéphiles, « DÉLIVRANCE » bascule dans le cauchemar. Comme si la nature tout entière décidait de se venger des affronts infligés par l’homme sur ces présomptueux citadins. La petite randonnée du week-end se métamorphose alors en descente aux enfers. Il faut tuer ou être tué, les os se brisent et déchirent les chairs, les flèches transpercent les corps, les agonies n’en finissent pas.
Avec quelle maestria Boorman dépeint-il l’échange de personnalité des deux protagonistes : le pusillanime et si civilisé Voight devient un meneur d’hommes et un tueur, tandis que Reynolds l’athlète se rêvant « homme des bois », finit en loque mutilée et geignarde.

BURT REYNOLDS, NED BEATTY, JON VOIGHT ET RONNY COX
Le film passionne, scotche de bout en bout, impossible de décrocher le regard de l’écran une seconde. C’est la rivière elle-même qui devient l’effrayante bête vorace de ce « film de monstre », qui hantera à jamais les nuits des survivants.
C’est indéniablement un des plus grands films des seventies et le chef-d’œuvre de Boorman. Quant au quatuor de comédiens, ils sont tellement parfaits qu’on en oublie à quel point ils sont bons ! Mention aussi à Bill McKinney, monstrueux en pécore sodomite aux dents pourries.
À noter : la photo de Vilmos Zsigmond est superbe, hormis une longue séquence de « nuit américaine » étonnamment ratée, dont l’image solarisée détruit tout effet de réalité et de suspense. Incompréhensible ! À noter également que le scénario (écrit par James Dickey d’après son roman) était initialement prévu pour Marlon Brando (Ed) et Lee Marvin (Lewis). Au début du film, un péquenaud appelle son gros chien affalé par terre. Le nom du chien ? Brando !