Archives Mensuelles: Mai 2018
« SOUTHLAND TALES » (2006)
Il arrive parfois que le cinéphile curieux, avide de nouveautés, à l’esprit ouvert, à la tolérance illimitée, atteigne ses limites et doive admettre qu’il est incapable de donner une opinion à peu près structurée sur un film. Déjà auteur du « culte » mais pas très accessible « DONNIE DARKO », Richard Kelly signe avec « SOUTHLAND TALES » une de ces choses informes, hypertrophiées (144 minutes, quand même !) et totalement incompréhensibles qui s’apparentent à du cinéma sans en être vraiment. On se souvient par exemple dans le même genre de « MASKED & ANONYMOUS ». Même si on préfèrerait ne pas.
« SOUTHLAND TALES » se déroule dans le futur (2008 !) après qu’une bombe atomique ait détruit le Texas. On y croise une ‘action star’ pusillanime et amnésique (Dwayne Johnson), une ‘porn star’ idiote (Sarah Michelle Gellar), quelques bons comédiens égarés comme Miranda Richardson ou Wallace Shawn et même… Christophe Lambert qui émet son célèbre ricanement dans un petit rôle de trafiquant d’armes en camionnette. Que font-ils exactement dans ce foutoir ? Impossible à dire. C’est inracontable, indescriptible, aussi passionnant que de la peinture en train de sécher sur un mur. L’image est hideuse, le montage flasque, l’humour absent. C’est tellement affligeant qu’on n’a même pas l’envie – ou peut-être les capacités mentales – de chercher à comprendre quelles étaient les ambitions originelles de l’auteur. Si malgré ces lignes enthousiastes quelqu’un aurait tout de même la curiosité de tenter l’expérience, prévoir un bon oreiller car il est rigoureusement impossible de ne pas s’assoupir plusieurs fois en cours de projection. C’est en voyant « SOUTHLAND TALES » où Dwayne Johnson commençait à prendre de l’assurance devant la caméra, qu’on se dit que « BAYWATCH » et « JUMANJI » ne sont pas si nuls que ça, en fin de compte.
« À L’ORIGINE » (2009)
« Vous êtes un conquistador de l’inutile », s’entendait dire le rêveur Fitzcarraldo dans le film de Werner Herzog. De fait, le protagoniste de « À L’ORIGINE » fait-il souvent penser à un héros « herzoguien » malgré un contexte tout ce qu’il y a de réaliste et bien français puisqu’inspiré de faits réels.
Petit escroc mythomane et solitaire, François Cluzet se retrouve pris à son propre piège. Et s’étant fait passer pour un entrepreneur susceptible de relancer un chantier d’autoroute stoppé depuis deux ans, il va devenir le bienfaiteur d’une population ruinée, d’une ville au chômage à laquelle il va redonner espoir. Il était venu dépouiller les laissés-pour-compte, il va tenter de les sauver. La route qu’il se met à bâtir ne mène nulle part, l’argent qu’il soutire à tout le monde va permettre de poursuivre cet engrenage mégalomane qui va auréoler d’une certaine grandeur ce minable pathétique et en faire un personnage de tragédie.
Xavier Giannoli impose un style fluide et elliptique, n’explique pas forcément tout, laisse au spectateur la liberté de remplir les blancs. Mais le scénario s’étale un peu trop parfois (plus de deux heures tout de même !) et la première partie est plombée par un faux rythme répétitif et trop prévisible : même Cluzet, pourtant excellent, finit par taper sur les nerfs avec son unique et immuable expression ahurie voire hagarde et ses bégaiements. Heureusement, le film trouve sa vitesse de croisière au bout d’une heure et redresse la barre, jusqu’au final émouvant, à la fois dérisoire et grandiose. Autour d’un Cluzet omniprésent et visiblement identifié à son rôle, un casting irréprochable (à part les jeunes comédiens qui « bouffent » la moitié de leurs répliques et les rendent incompréhensibles), hormis Emmanuelle Devos qui ne fait pas grand-chose d’un personnage qui, de toute façon, s’avère peu nécessaire à l’histoire. Et on retrouve avec plaisir un Gérard Depardieu éléphantesque et franchement inquiétant en voyou extraordinairement menaçant.
Malgré sa longueur excessive, un film à voir pour son ambition thématique et pour le jusqu’au-boutisme de son protagoniste.
« MINDHUNTER » : saison 1 (2017)
Une série sur les balbutiements de l’étude comportementale des tueurs en série, bâtie autour d’un petit groupe d’agents du FBI donnant naissance au « profilage » à la fin des années 70, le tout en partie (quatre épisodes sur dix) réalisé par David Fincher… Comment ne pas être instantanément aimanté ?
De fait, « MINDHUNTER » est une totale réussite, d’une cohérence parfaite, austère dans sa forme, vertigineuse dans son fond. Jonathan Groff, jeune recrue fascinée par les meurtriers hors-norme et par le Mal et son coéquipier un vieux de la vieille (Holt McCallany) bourru et sceptique, vont à la rencontre de serial killers emprisonnés pour les questionner et tâcher de comprendre leur fonctionnement. Les face-à-face avec le célèbre Ed Kemper (l’extraordinaire Cameron Britton) seront déterminants et crédibiliseront l’expérience.
Mais le véritable centre d’intérêt de cette 1ère saison est l’évolution du jeune flic. De plus en plus sûr de lui, de plus en plus obsédé par sa quête, il laissera les tueurs « entrer dans sa tête » jusqu’à ce qu’ils déteignent littéralement sur sa personnalité et le mettent en danger. L’ultime séquence du dernier épisode est absolument terrifiante et porte indéniablement la griffe de Fincher. L’apprenti-sorcier en sera pour ses frais.
Sombre, intelligente, jamais bêtement spectaculaire ou schématique « MINDHUNTER » est une série d’exception qui elle, ne se laisse jamais aller à la fascination exercée généralement par les serial killers à l’écran. Ceux décrits ici mettent profondément mal à l’aise, mais ne sont jamais « bigger than life ». On distingue très bien la corde raide sur laquelle évoluent les enquêteurs et le péril où se trouve bientôt leur vie personnelle. Autour des deux comédiens principaux, superbes du début à la fin, Anna Torv est parfaite en théoricienne froide et cérébrale et on aperçoit Lena Olin dans un épisode, jouant sa maîtresse dominatrice.
De la grande télévision adulte et magnifiquement écrite, qui redonne ses lettres de noblesse au « polar » contemporain.