« Exterminez toute pensée rationnelle », prévient la citation de William S. Burroughs au début du film adapté et réalisé par David Cronenberg. « LE FESTIN NU » est certainement l’œuvre la plus bizarre et inclassable du Canadien, tout comme l’était d’ailleurs le roman autobiographique de Burroughs.
Après avoir accidentellement tué sa femme (Judy Davis), Peter Weller, romancier raté, s’enfonce dans un délire de plus en plus immersif, qui le voit devenir agent secret en Afrique du nord, aux ordres de sa machine à écrire transformée en cafard géant parlant par l’anus. Tout ce qu’on voit à l’écran est tellement étrange, décalé, sans limite dans la dérive cauchemardesque, qu’on peut se laisser entraîner et même submerger. La photo de Peter Suschitzky est magnifique, tout comme le sont les décors de studio de Carol Spier, totalement dépaysants. En fait, le film tente de retracer de façon visuellement choquante le processus mental qui mène à l’écriture. Embourbé dans la drogue, l’alcool, l’auteur hallucine, s’égare, pour retrouver dans la douleur et la folie, l’envie de créer. Le film dure deux heures, il n’est pas facile d’accès et se répète parfois, mais l’univers qu’il dépeint est aussi exotique que grotesque, aussi malsain que drôle au second degré. Weller, acteur fade et neutre par excellence, est idéalement distribué dans ce rôle de témoin de sa propre déchéance, Davis est égale à elle-même en junkie exaltée, Ian Holm glauque à souhait et Roy Scheider fait deux apparitions mémorables en deus ex machina. En illustrant l’œuvre d’un autre, Cronenberg signe peut-être son film le plus « cronenberguien ». Les corps se mélangent, se déchirent, le sexe est ambigu, répugnant parfois et les personnages semblent évoluer dans un no man’s land aux confins des enfers. À voir, assurément.